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Petit-abecedaire-de-l-Apocalypse-heureuse

Prix : 12 €
90 pages
ISBN : 9782940666614

En librairie le 5 avril 2024
Diffuseur Harmonia Mundi Livre

Annie ERNOX

Les soldes chez but

Autrice de dizaines douvrages dans lesquels elle a raconté sa vie, le RER en retard, les pannes dascenseur et tout ce qui fait la condition humaine, lécrivaine engagée Annie Ernox se laisse séduire par G., milliardaire beaucoup plus âgé quelle, qui lui ouvre les yeux sur la misère des ultrariches et les problèmes avec les domestiques. Élue prix Nobel de littératchure, elle décide de quitter G. et Cergy-Pontoise pour enseigner l’écriture plate dans une université américaine progressiste. Premier livre post-Nobel dAnnie Ernox, Les Soldes chez But sont un voyage au bout du caddy, cru, sincère et pas cher.
« Je dédie ce livre à tous
les mal-meublés, même si ce sont
des hommes et même s’ils ne savent pas lire. »

L’auteur

Pascal FIORETTO

Pascal Fioretto est l’auteur de recueils de pastiches (Et si cétait niais ?, LÉlégance du maigrichon, La Joie du bonheur dêtre heureux,latonine, LAnomalie du train 006) dans lesquels il brosse en virtuose le portrait – parfois cruel, toujours hilarant – de la scène
littéraire contemporaine. Celui que la presse a couronné « roi du pastiche » nous offre ici sa version de l’œuvre incontournable d’Annie Ernaux.

Revue de Presse

REVUE DES DEUX MONDES

La littérature du Caddie

Marin de Viry

Tout est hilarant, sans agressivité et profondément critique dans le pastiche d’Annie Ernaux par Pascal Fioretto : Les Soldes chez But, d’Annie Ernox. On y retrouve l’accaparement comique de la littérature par les fonctionnaires enseignants de l’Éducation nationale. Une espèce d’usurpation, de captation, de vol institutionnel, d’impôt révolutionnaire, de glissement logique infernal : je suis professeur de lettres, donc la littérature m’appartient. J’ai le droit de définir son champ, son but, sa vocation. Je donne des notes : Renaud Camus, zéro. Éliminé. Édouard Louis (ou son équivalent), vingt. Admis. Entre ici, fils du progrès. J’exclus, je renvoie, je fais passer en conseil de discipline, je me fantasme en dominant. Naturellement, la littérature ne saurait être que l’expression du désir de justice sociale. Normal : c’est la fonction publique qui doit redistribuer.

Dès qu’une pensée présente dans un roman supporte l’iniquité sociale, elle doit être compensée par trois pensées de gauche. L’impôt sur la pensée conservatrice est très progressif, jusqu’à atteindre la confiscation. Le mieux serait que la littérature qui sert les intérêts des ploutocrates dominants n’existe pas, que tous les romans promeuvent l’égalité. Martine au taf. Martine en lutte. Martine au pieu aussi, car que serait la description sublime de la bataille pour le progrès sans la complexité perverse du rapport sexuel, où la domination socio-économique se branche sur la cuisse (avec effet de rétroaction inverse) ? De là, tartines sur la sexualité des classes intellectuellement supérieures, mais socialement intermédiaires. Ou, plus exactement, du couple composé d’un mâle blanc dominant – forcément complice avec le patriarcat, donc veule et pas très malin – et d’une femme qui satisfait ses intérêts biologiques tout en conservant son quant-à-soi politique, qui pense en dedans. Chaude mais pétitionnaire. Intéressée mais pure. Sous la surface de la jouissance, sa pensée critique travaille à la guerre de libération.

Dans le pastiche de Fioretto, cela donne un tunnel désopilant où un nonagénaire branlant lance ses dernières forces dans la bataille pour que sa maîtresse écrivaine obtienne le Nobel, tandis que sa partenaire ne cesse de débiner – pour la postérité, pour la justice, pour la littérature – son bienfaiteur. En compensation de sa souffrance de militante progressiste tactiquement forcée de coucher avec un milliardaire, elle va se lancer dans une idylle avec une employée de Walmart, qui la plaquera sèchement. Transfuge sexuel, c’est plus compliqué que transfuge social. On retrouve ensuite, pour notre plaisir comique, cette relation organique entre les cadres moyens de la fonction publique française et le mouvement général de l’humanité vers la liberté.

Il fallait à cette articulation historique cachée son écrivaine, sa révélatrice : voilà que ce grand pas est fait. Le mécanisme secret qui fait se mouvoir ensemble l’émancipation générale et l’activité apparemment obscure d’un agent local des impôts, d’un fonctionnaire territorial en RTT, d’un titulaire du Capes sans affectation, est révélé, instruit, rendu dans la pureté de sa vérité dissimulée par une écrivaine qui nous libère en mettant les mots sur les choses. Merci, phare scintillant dans la nuit libérale. Et puis aussi ce vertige identitaire, mais de gauche. Le vertige de droite consiste à vouloir se sentir chez soi, et à devenir nerveux quand CRITIQUES cette situation est menacée. C’est banal, plat, avilissant, infra-politique, radin. Le vertige identitaire de gauche consiste à se balader entre différentes modalités d’être un autre. Entretien de la construction à droite (« Ainsi de peu à peu crût l’Empire romain »), exaltation de la déconstruction à gauche (« Jouissons sans entraves »). Tout le monde pourrait vivre ensemble avec ça ; après tout, il y a des fermiers et des chasseurs, des paysans et des errants depuis l’aube de l’humanité, mais voilà : il faut un salaud.

Et pour qu’il existe, il faut brancher dialectiquement le type qui veut être peinard chez soi avec les hyènes fascistes et néolibérales. Dans Les Soldes chez But, la mission est accomplie. L’apport théorique littéraire, pour continuer. Ce je-elle. Ce ma mémoire-mon récit. Cette transcendance du microscopique obsessionnel par le macroscopique pontifiant. Cette correspondance entre le chuchotis dans le boudoir et la clameur des peuples. Et puis arrive le triomphe, enfin, de la militante. Le Nobel. La haute souffrance morale de recevoir un prix des mains du roi de Suède. Souffrance sublimée par l’exigence morale de la Cause. Je ne suis pas celle que vous croyez, tyran ! Le discours, forcément sublime. Le gros chèque, une goutte d’eau dans l’océan de l’injustice. Ceux qui veulent rire intelligemment en grand doivent lire ce pastiche. Y compris les adorateurs d’Ernaux, ou ceux qui pensent qu’elle a l’esprit faux pour trois cinquièmes de sa production, et persiste, non sans métier, sur son objet littéraire pour les deux cinquièmes restants.